L'école
- Écrit par : Seddik El Mrabet
Je suis l’Ecole Ouled Ben Jamaâ
Je m’appelle Ecole Ouled Ben Jamaâ. Je suis née en 1959.
Mon nom est celui du village où je suis née, quelque part dans les montagnes du Rif marocain.
Ma naissance est le fruit d’une initiative privée prise par quelques notables du village, visionnaires et clairvoyants. Ils ont combattu l’occupant avec beaucoup de sacrifice et de souffrance. C’est sans doute ce qui leur a fait comprendre mon intérêt et mon rôle dans l’éducation des humains. Ils ont dû comprendre que la supériorité de l’occupant vient des écoles comme moi.
Je fus constituée au départ de deux classes sur le modèle de l’occupant, avec des arbres Eucalyptus tout autour, un beau toit en tuiles, des murs solides en pierre et ciment, des fenêtres grandes qui arrosent mon intérieur de lumière du jour naturelle. Les enfants qui venaient en mon sein ne manquaient de rien, ils étaient chauffés par une belle cheminée en fonte, installés sur des tables en bois confortables équipées d’encriers et rangement de crayons et plumes. Alors que chez eux, ces enfants manquaient de presque tout : ni chauffage, ni vêtement chaux ni même des chaussures. Certains venaient pieds nus, marchant sur des cailloux coupants, équipés d’un sac en plastique en guise de cartable, récupéré des courses du marché hebdomadaire de dimanche. Certains étaient tellement pauvres qu’ils me boudaient à chaque saison des olives. Ils devaient, sans doute, aider leurs parents dans la récolte des olives, principal moyen de subsistance des gens du village. Mais ils revenaient une fois la saison terminée. Alors je ne leur en voulais pas. D’ailleurs à ce sujet j’ai quelques petites histoires assez cocasses et drôles mais que je vous raconterai une autre fois.
Pourtant, grâce à moi et à mon accueil chaleureux, beaucoup de ces enfants ont étudié brillamment. Il est vrai qu’ils étaient enseignés par de grands professionnels, des personnes investies par leur mission et leur devoir, faisant preuve d’autorité et de compétence mais aussi beaucoup d’humanisme et de bienveillance. Mais, hélas, quelques rares fois certains de ces enseignants manquaient de patience envers certains enfants. Ceux qui ont bien travaillé sont partis continuer leurs études chez mes grandes sœurs ailleurs dans d’autres lieux. De temps en temps, ils reviennent me rendre visite et je vois alors dans leurs yeux qui brillent de larmes, de la reconnaissance et de la gratitude à mon égard. A ce moment-là je pense aux belles personnes courageuses et visionnaires qui m’ont permis d’exister. A mon tour, je les remercie et leur rend hommage.
J’ai vécu ainsi de nombreuses belles années. Malheureusement, suite à des événements que j’ignore, mon état de santé commençait à se dégrader. Je perdais mes tuiles qui me servaient de cheveux, les vitres de mes fenêtres étaient cassées par des enfants mal intentionnés qui ne comprenaient pas que je n’étais là que pour leur bien. Mes murs commençaient à s’effriter et mon visage est amoché, mes tables cassées et non remplacées, mes cheminées se sont trouvées hors d’usage faute de bois et d’entretien. Bref, je me suis sentie sur le déclin et la fin. C’est alors que quelques anciens enfants que j’ai accueillis jeunes, ont pensé à moi en créant une association. Ils m’ont un peu soignée et m’ont enrichie de toilettes et de deux pièces supplémentaires, pensant bien faire. Mais c’était sans compter sur le manque de professionnalisme de la nouvelle génération des enseignants qui manquent de scrupule et sont venus en mon sein dans des circonstances qui leur donnent juste un moyen de subsistance. Ils ne connaissent même pas mon histoire et n’ont que faire de l’avenir des enfants qui continuent à venir. Les adultes du village ont une maladie que j’ignore, qui les fait me délaisser. J’ai perdu mes arbres pour un Hammam. Vous vous rendez compte ! C’est curieux la manière de vivre et se conduire de ces adultes : ils coupent le peu d’arbres qu’il y a autour d’eux pour cuire leurs aliments, alors qu’ils reçoivent de la chaleur du ciel à longueur de journée. C’est qu’ils sont trop bêtes pour chercher à capturer cette chaleur. Et encore fallait-il venir chez moi pour étudier comment faire. Ces habitants du village, voyant mon état se dégrader, ont tout simplement décidé d’envoyer leurs enfants à d’autres sœurs plus loin, au lien de me donner une deuxième chance et prendre soin de moi pour que je continue accomplir mes miracles. Oui, je dis bien mes miracles parce que ceux qui m’ont boudée jeunes ont une existence difficile avec de modestes moyens de subsistance et n’ont toujours pas compris mon importance.
Alors, Dieu merci, je suis encore vivante. J’implore l’Association de mes anciens enfants de tout faire pour me donner une apparence attrayante et me remettre dans un meilleur état, que je puisse continuer à accueillir encore et encore des enfants et produire des miracles. Peut-être ces enfants reviendront-ils un jour me rendre visite et me remercier, les larmes aux eux, d’avoir contribué à leur faciliter la vie. Sans moi, la vie est très difficile, surtout dans un monde où il n’y a pas de place à l’analphabète. Me laisser disparaitre serait vraiment bête.
Seddik
- Écrit par : Tayeb El Mrabet
Une page d’histoire
Chapitre premier : la fondation de l’école
J'ai été touché comme vous tous par l'excellent papier de Seddik Elmrabet, son contenu a créé dans ma mémoire un flash intense qui a réveillé en moi des souvenirs agréables de mon enfance en particulier la période scolaire, puisque on parle ici de l'école.
Notre joie était immense en voyant se construire notre école qui s'apprêtait à recevoir ses premiers élèves. Nos seniors de l'époque, tels si Driss Elaziri, si Mohammed aidem, si Mohammed ould si mfeddal, si Mohammed ben Mkadem dit Khayatte, si Mohammed ben chrifa, si Mohammed ould moulay Driss, dit si Mohammed d'elanassar, si mohammed sabigou, et je m'excuse pour ceux que j’oublie, ...
Nous ressentions avec enthousiasme la fierté de nos parents de voir leur rêve se réaliser, en ayant une école à eux, construite avec leurs propres moyens, ils le ressentaient comme une revanche sur leur passé récent de résistants, douloureux dans leur chair et leur âme, ils venaient de sortir d'une période chargée de souffrances physiques et psychologiques individuellement et collectivement, subies de la part de l'occupant et ses collaborateurs, personne n'a été épargné, y compris femmes et enfants, je rends un grand hommage à LaKhaddouge la maman de si Abdeslam le Pharmacien, accompagnée de si Abdeslam son fils enfant, elle a été parmi les premières femmes prisonnières politiques, l'occupant a envahi le village avec un escadron de cavaliers, composé de soldats et mercenaires, aidé par les collaborateurs locaux, a semé la terreur parmi les femmes et les enfants, en défonçant les portes des maisons à la recherche des hommes et des armes, tout en pillant tout ce qui s'y trouve, nourritures, bijoux et le peu d'argent que les gens possédaient. L'invasion a duré plusieurs jours, durant lesquels, les hommes sont torturés à mort par les collaborateurs en présence des officiers de l'occupant, sous mon regard d'enfant de 4 ans, je voyais à 50m mon père Rahmatou ALLLAH alaihim jamiaan, torturé avec du sang qui coulait de son corps, j'en suis marqué à jamais, pour leur faire avouer les informations sur les hommes engagés dans la résistance organisée, tels le papa de si Abdenbi Oustad, le papa de si Abdeslam le pharmacien, et d'autres. Après plusieurs jours de pillage, de mauvais traitements des femmes, ils ont quitté le village en emmenant avec eux tous les hommes si Outmani, si Hammad, chekh Aidem, si Mohammed Mrini, si Ahmed Kaâlia, moulay Driss d’elanassar, les autres que j’oublie, qu’ils me pardonnent, tous condamnés à la prison pour rébellion.
L'école est née à la suite de cette période chargée de souffrances et de privations, elle était le symbole de la fierté retrouvée et la victoire sur le sort imposé par l'occupant.
Trois générations d'enfants suivaient assidument l'enseignement traditionnel à la mosquée, avec comme maîtres Si Mohammed Msouri, Si Said, fkih Moulay Mfeddal, si Ammar avec ce dernier on était trop jeune, on se rappelle à peine, que Dieu leur offre la meilleure récompense le Paradis inchaAllah. Nous ressentions leur angoisse vis à vis de la concurrence de l'école moderne, ils ne se sont pas trompés, aucun de leurs élèves n’a réussi à devenir fkih, nous continuions à aller alternativement à la mosquée et à l'école, je me souviens un jour dans un cours à l'extérieur, le Maître si Mohammed Elmsouri, nous disait : « Je sais bien que le projet de faire de vous les successeurs foukaha est peine perdue et je forme plutôt des futurs koffares à cause de cette école ». Ça nous faisait rigoler.
Quelques familles, qui ont consenti des sacrifices pour se procurer un poste de radio, nous permettaient de savoir ce qui se passait dans le monde, en écoutant la BBC en arabe ou radio du Caire. Je me souviens qu'on suivait avec beaucoup d'intérêt et de joie les jeux olympiques de Tokyo.
Nos parents se concertaient et se faisaient confiance pour construire la plus belle école, bien placée à l'entrée du village, avec son domaine arboré que nous même avons planté et irrigué durant des années et un terrain de jeux qui nous a permis de découvrir les joies du foot.
Les salles de classe étaient magnifiques et décorées, pleines d'illustrations réalisées par nos premiers instituteurs très compétents, talentueux, consciencieux et respectueux de leurs élèves. Ils prenaient très au sérieux leur mission d'éducateurs.
Grace à ces premiers instituteurs, comme Yazami, Doukaali, Hayani, Abbass et d'autres, nous avons appris très vite à lire des livres des auteurs arabes et français, et à prendre davantage conscience du rôle l'école.
La première promotion de l'école, composée de nos ainés, n'a pas eu la chance d'en tirer profit, essentiellement à cause du fait que c'était trop tard pour cette promotion composée d'élèves trop âgés, donc moins réceptifs à l'apprentissage d'une nouvelle langue. Ce premier raté de l'école constituait le premier essai échoué, cela a failli décourager nous autres à croire en l'école comme choix d’avenir. Nous étions plus accrochés au nouveau rêve d'une vie meilleure que nous inspiraient les auteurs que nous lisions.
La promotion dont je faisais partie, comme Si Mohammed Alami, son frère si Ahmed, si Mohammed Lafedal dit fellah, si Hassan Elmrabet, si Mhamed de Gaouza, son frère si Hassan, si Mohammed ben Jamaâ, si Mohammed Outmani, si Mohammed Fkih sghir, si Abdelatef Aidem, si Mohammed Mrini, si Ahmad Sabigou dit Alaoui, si Ahmed Chbichou, si Belhachmi, et d'autres que j'oublie, qu’ils me pardonnent, doit beaucoup à cette école, sauf Oulad Kaid si Abdeslam le pharmacien ses frères et sœurs, et ouled Chahid si Abdenbi et ses frères qui, eux, ont bénéficié de l’occasion d’aller en ville et de profiter d’une scolarité citadine. Quand ils revenaient au village pendant les vacances, on était contents de se retrouver pour faire les cent bêtises par jour, nous qui sommes restés dans le village, étions émerveillés par ce qu’ils nous racontaient sur la vie en ville, nous étions admiratifs de leur agilité et leur épanouissement, cependant nous nous méfions de leur malice dans leur relation avec nous.
Nous devons tout à l’école, en particulier de nous avoir fait rêver d'une vie meilleure, de pouvoir prendre notre part dans le nouveau monde d'après l'indépendance.
Je me souviens de la visite de si Hamad à notre classe, il s’est présenté en tenue militaire impeccable, il nous a impressionné par son jolie keppi, il nous a procuré des conseils de bien travailler pour accéder à une vie meilleure, nous l’écoutions avec attention mais sans trop comprendre ce qu’il nous disait, nous ressentions néanmoins sa joie de rendre visite à notre école.
Malgré les aléas de son histoire, l'école a rempli pleinement son devoir, ce sont souvent les parents des générations d'élèves suivantes, qui ont renoncé à l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants, avec la pression des nouveaux besoins, comme l'emploi ; les gens ne croyaient plus à l'avenir par l'école, mais personne ne leur a posé la question, comment leurs enfants allaient affronter l'avenir.
Il est indispensable aujourd'hui, de tendre à la main à notre école pour l'aider à se rénover et à se revaloriser pour préparer les nouvelles générations, à retrouver la dignité et la noblesse de nos ancêtres.
Je compte sur la solidarité de tous, pour permettre à notre école de retrouver le souffle de jadis, à savoir la formation des nouveaux hommes et femmes capables de se lancer des défis pour changer le monde.
Nous avons les mêmes ancêtres fiers et courageux, respectés par les peuples qui les entourent, et visionnaires dans leur mode de vie. Nous avons partagé le meilleur et le pire, et traversé ensemble les pires moments de notre histoire.
Aimons notre école qui nous a permis d’en parler aujourd’hui avec conscience et enthousiasme, et pensez aux sacrifices de nos parents. Nous devons continuer à œuvrer ensemble pour ceux du village qui ont besoin de nous !
Tayeb Elmrabet
Un parmi vous